Notre vie unique

 

 

En réalisant une action, qu'elle soit simple comme ouvrir une porte ou plus complexe comme écrire une nouvelle, nous avons parfois le sentiment fugitif d'avoir vécu cet instant dans le passé. Il arrive aussi que ce soit un lieu inconnu ou un nouveau visage qui donnent cette même sensation. Pour ceux qui ne connaissent pas cette paramnésie bénigne, sachez que ce sentiment à la fois net et éphémère n'est ni désagréable ni inintéressant. C'est percevoir une fraction de seconde l'instant présent et son double dans le passé. Puis, rapidement, la fausse impression disparaît.

Et si elle ne disparaissait pas ?

J'imagine une journée avec la sensation ininterrompue du déjà vécu, à ne pas confondre avec ce qui se passe dans le film de Harold Ramis Un jour sans fin, où depuis le réveil, Phil Connors accomplit matériellement les gestes identiques de la journée précédente qui se répète indéfiniment. Non, dans mon film à moi chaque geste est totalement unique et entièrement doublé d'une fausse mémoire. C'est comme ça qu'il faut comprendre mon double lever un matin suivi d'un petit déjeuner que j'avais déjà pris, puis mes déplacements multipliés par deux dans la maison et mon travail à l'ordinateur pour m'efforcer d'écrire ce que j'avais déjà écrit. Je continue ainsi la journée en composant comme je peux avec ce caprice de la mémoire, avec cette superposition de présent et de passé, avec ce présent ancien ou ce passé actuel.

Puis à midi comme tous les jours depuis trente ans, mon amoureux m'appelle du travail ; et j'ai ici aussi le sentiment que ceci s'est déjà produit, ce qu'il me dit est une répétition de ce que, dans mon esprit et seulement dans mon esprit, il m'a déjà dit : qu'il me trouve bizarre, que je n'ai pas l'air dans mon assiette, je lui réponds, ou plutôt je lui répète que c'est vrai, il me redemande inquiet ce qui ne va pas et je lui dis d'une petite, petite voix : je vis double, alors que l'écho du passé dit aussi, je vis double.

Alors il rentre rapidement à la maison et dès qu'il ouvre la porte, sans explication ni raison apparente,  la vie reprend, comme si de rien n'était, sa dimension unique.

janvier 2011 

 

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