Eaux profondes

 

 Les puits des jardins sont les yeux des mondes des profondeurs. Accoudée à la margelle, vue du fond, je ne suis qu’un contre-jour indécis, sans expression et sans traits que le lancer d'un caillou décompose en mouvement désossé, fluide et désordonné ; si je me parle, ma voix remonte en échos caverneux. Je m’amuse et j'ai peur. Car il faut faire très attention : si un lézard se sauve épouvanté, c’est qu’on a réveillé la Créature des souterrains. Alors des voix lugubres vous poursuivent ou vous tirent du sommeil et des rires horribles sortent à la place de l’eau quand on ouvre un robinet. Un jour de puits, de caillou et de lézard effrayé, j’ai présenté mes excuses à la Créature des obscurités, pardon Madame, je vous ai dérangée, mais déjà dans le fond liquide elle avait imprimé mon image flottante et désarticulée, et la fit remonter ruisselante à la surface à deux heures du matin pour qu’elle vienne à ma fenêtre grimacer ; mais comme un mauvais vent l’emportait de fenêtre en fenêtre et de jardin en jardin, tout le village s’épouvantait y compris Monsieur le Maire et son copain. Tous couraient avec des torches électriques allumées après la figure fantomatique qui courait devant eux, beaucoup plus rapide bien que tellement mouillée, et dont la course se termina en plongeon dans le puits d’un autre potager où en immersion, bien à l’abri, elle doit être en train de se reposer.

 avril 2020

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